" CRI "

Publié le par Jean-Louis Gillessen

Le blog Aloys

Lecture, écriture... Un partage des auteurs des Editions Chloé des lys

Un texte terrible signé Jean-Louis Gillessen : CRI

Publié le 22 février 2014 par christine brunet /aloys

C R I

Le café fume. Maman aussi. L’enfant hurle. Cinq heures et demie.

Maman crie. Les sirènes strident la nuit. Papa est rentré. Il a vomi sur le plancher.

Maman a pleuré. Papa l’a tabassée. Est ressorti. Pas assez. De tabac.

Trop. De fumée. Sans feu. Il fait froid. Décembre. Plus de chauffage.

Quand il reviendra avec ses cigarettes, elle dormira. L’enfant pas. Papa. Pas chaud.

Dans les bras. Tu vas, tais-toi. Sanglots. Du père. Alcool, bouteilles, par terre. Vides.

Pleins parents dans le rien réunis. Rien du « tout » de leur vie. Néant même désempli.

Comble. Grenier. Pièce. Arrangée. Remise. En état de fonctionner, ils survivent.

Au sommet. Paradoxe. Toxicos comblés de bar bondé. Suffocants d’intox,

ils montent chaque jour sept étages d’escaliers. Volées. Raclées.

Tu m’en mets, je les prends, mais t’en rends. Rangs plumés. De sentiments, avalés,

disparus, même plus mélangés. Bien triés, case « absents ». Cas absents pour les autres,

voisins de palier, papa et maman sont abonnés dérangés. Dérangeants.

Depuis longtemps, mais nul ne sait le danger. Ne voit. Ne veut. Tout du moins suffisamment.

Sauf bébé. « Alertez , alertez … » , chante Higelin. Jacques a dit. Pas assez écouté.

Redondance, et des mots, et des sanglots. Mi-longs. Plus étendus. Toujours. Plus encore.

Du père. Alcool, bouteilles, sur le sol. Vides. Papa. Pas chaud. Dans les bras.

Qui enserrent. Trop ... trop … trop … Tu t’agites, te débats, tu rejettes.

En arrière. Ta tête, ton p’tit corps, ton presque trépas.

Tu es là, maintenant, par terre, gisant, tombé, lâché.

Sur les vidanges papa a roulé. Maman est réveillée. Qui le frappe. Et te secoue.

Lui alors tape. Fort. Sa tête. Contre le mur. Plusieurs fois il recommence et son arcade éclate.

Sourcilière. Souricière. Toi cependant, sans sourcilier, sourdement tu entends comateux.

Nuages. C’est du bleu que tu vois. Ambulance. Lumières. Blouses blanches.

L’odeur que tu sens t’apaise autant que les mains qui te touchent.

Expertes, à la fois vives et douces. Blanc. Rouge. Pourquoi ne peux-tu boire ?

Pas avant le diagnostic. Goûte en attente sur papilles ce seul parfum de sang salivé

que l’on a quand on sait l’autre blessé. Toi, pupilles dilatées, tu ne saignes pas.

Miracle. Petit, tu es sain, tu vivras. Ecoute-les te le dire, les hommes en blanc.

Mais dans la salle aux éclairages trop puissants,

ils découvrent alors encore sur ton corps rougeurs, brûlures, blessures.

Ils ne voulaient pas, maman, papa. Ils disent aussi qu’ils n’en pouvaient rien.

Ils n’auraient jamais cru non plus, eux, les voisins.

Ce soir il fera tout à fait très froid et très vide au sommet de la Rue Haute dans la ville basse.

Impasse. Maldonne. Impair. Rouge et noir perd, manque et ne gagne pas sans tapis vert.

Deniers. Ce soir, au café, pour mieux louer « Grenier aménagé »,

la propriétaire dira qu’elle rouvrira la cheminée. Sans feu. Mais l’on peut y amener son poêle.

Ce soir, papa et maman n’y seront plus.

Toi tu dors maintenant tout nu dans lit douillet coton 27° hôpital surchauffé.

Tu auras tout vu, tout connu, de cela tout vécu et vaincu, puisque sans le vouloir tu es venu.

Au monde. Souris seulement si dans 20 ans quelque chercheur en boniments te fera dire

que l’embryon déjà décide du choix de ses parents. Sciemment, « foetusant ».

Balivernes de divan ! N’institue jamais tes neurones, petit, même si d’institution en institution,

qui pour toi feront quête de parents de location, parfois tu te ressens loque à terre.

Solitaire. Sol. Bouteille. Vide. A la mer. Taire, mère, père, vagues, océan de divagations.

Vidange non consignée, retour bidon, ton ange est périmé, mais nous irons.

Oui, toi et moi, éducateur, y écouter ton message. In a bottle. A la mer.

Et pour mieux apprendre à pleinement jouir ensuite de son silence,

dans l’écho de l’immensité tu pourras d’abord, très fort et sans que nul ne te fasse violence,

tu pourras … crier,

rire et crier.

Jean - Louis Gillessen

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Carine-Laure Desguin Il y a 1 mois


C'est plus qu'un texte ça, c'est un poème. Le style me ramène (un peu) à celui de Christel MArchal. Une poésie qui déchire. C'est bien là le sens de la poésie, chahuter, déchirer, provoquer
des chaos. Beau dimanche à tous et rendez-vous ce soir pour actutv!

silvana Il y a 1 mois


tout est dit, rien à ajouter sinon un coeur qui compatit en silence

Jean-Michel Bernos Il y a 1 mois


Vraiment excellent !

Micheline Boland Il y a 1 mois


Superbe ! J'adore le rythme.

Jean-Louis Gillessen Il y a 1 mois


Merci et reconnaissance à vous toutes et tous pour vos commentaires. Ce poème est très dur, je l'ai voulu tel. Il faut parfois que la fiction rejoigne la réalité au plus proche, essayer que
celle-ci ne dépasse pas trop la fiction, pour contrer l'adage, rendre au mieux une situation vécue.

magerotte Il y a 1 mois


Décoiffant, troublant, hallucinant, angoissant, révoltant, affolant... tant pour le fond que pour le style et puis, en effet, quel rythme ! Bravo !

Christian Eychloma Il y a 1 mois


Toute la pauvre condition humaine dans ce poème évocateur et dérangeant...


Des vers en prose qui "tapent" durs et secouent l'inconscient... On n'en sort pas indemne mais la mission d'un poète consiste parfois à interpeler et réveiller
!


Merci pour ce crochet à l'estomac !

Jean-Louis Gillessen Il y a 1 mois


Merci Alain, merci Christian : vos mots justes me vont droit au coeur,


m'encouragent et m'exhortent à la continuation.

claude danze Il y a 1 mois


Voilà un texte qui secoue. On se croyait arbre on n'est que branchinette, sous une telle tempête verbale, violente et juste. Une utilisation exceptionnelle de notre outil, la langue française...
Bizarre, génial, interpelant...

Rolande Michel Il y a 1 mois


Quelle tristesse, certaines faces de cette condition humaine à laquelle nous restons trop souvent aveugles, aveuglés par nos "petits soucis, notre "petite histoire", ces mille excuses qui sont
supposés nous donner bonne conscience!


Pourtant, il est des réalités, d'innombrables réalités interpellantes. Comment condamner ? De quel droit ? Pourquoi ne pas aider ?


C'est dur, vrai, magnifiquement écrit dans ces superbes vers en prose. C'est de la vraie poésie qui nous prend aux tripes, nous émeut en éveille en nous un sentiment de honte impuissante.

christine Il y a 1 mois


Voilà un texte qui fait froid dans le dos surtout lorsqu'on a été confronté à ces enfants... détruits pour la vie... Terrible, vraiment.

Jean-Louis Gillessen Il y a 1 mois


Merci, merci, merci et grande reconnaissance à toutes et à tous pour vos mots, vos avis qui me réchauffent le coeur ...

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