" Gens d'argent, coeur d'or, étain d'une vie noble "

Publié le par Jean-Louis Gillessen

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Gens d’argent, cœur d’or, étain d’une vie noble, un texte de Jean-Louis Gillessen

Publié le 8 mars 2014 par christine brunet /aloys

Gens d’argent, cœur d’or, étain d’une vie noble.

Trois décembre 2013. Recommandé. A personne âgée. L’Etat lui réclame 1.700 euros qu’elle n’aurait pas payés en 2009.

Endéans le temps de la loi, l’huissier passera si la somme n’est pas là, chez eux, dans les tas de L’Etat tapis plat, qui peut réclamer son dû pendant cinq ans pour laisser à ses fonctionnaires surchargés les années nécessaires à farfouiller, à soutirer les milles et les cents qui leur auraient échappés par mégarde, erreur, fatigue, excès de labeur, dysfonctionnement … ou connerie tout simplement.

Lucie, elle, 83 ans, n’aurait pu réclamer que dans les 3 ans ! Le délai est dépassé. De toutes façons, comment et pourquoi réclamer, chercher à comprendre, demander justice « avant » pour une erreur que l’on ignore puisqu’on vous la communique « après » ?

Que veut cette logique du tout-puissant ? Lucie ne met plus de vieux pain sur son balcon puisqu’elle s’organise à ne pas gaspiller. Les moineaux et les pigeons pourtant l’apprécient, elle ne doit pas les nourrir pour les attirer. Goldman ne chante pas qu’elle fait rire aux éclats ses petits enfants qui dévorent son pain non perdu, sucré du goût de la vie pleine d’un amour inébranlable, sans sou mais riche de l’insouciance apaisante d’une grand-mère sereine, sécurisante.

Partis heureux en fin d’après-midi, le cœur empli des instants de bonheur intègre, impatients déjà de revenir bientôt, ils ont bisouté grand-maman, remercié, plongé leurs yeux lumineux dans ceux de Lucie, qui reste seule. Sans larmes. Jamais amère.

Elle range le 42 m2 loué 400 euros, écoute les hits sur radio-nostalgie, chante et danse, s’assied dans son fauteuil coincé entre table unique et armoires vieillottes, caisses et cartons usés, pour s’endormir malgré elle l’espace trop restreint de 43 minutes.

Puis se réveille soudain : il fait froid. Pas de thermostat, 2.000 euros de chauffe par an, radiateurs coupés l’après-midi pour ne pas surchauffer, économiser, pourriture de l’humidité sur les stores et rideaux délavés, mauvaise isolation.

Mais la propriétaire dit qu’elle viendra placer du double vitrage l’année prochaine. Il est vrai que Lucie est régulière dans ses paiements, qu’elle touche une grosse pension de 1.100 euros … puisque Lucie travaille depuis l’âge de 12 ans. Et travaille encore environ 10 heures par semaine, … au noir, car il y a les taxes, et puis tous ces papiers qui lui rappellent de payer.

C’est honteux, cela fait au moins 1.300 euros de rentrée nette par mois disent d'aucuns alentour ! C’est pour cela qu’elle peut se payer le luxe d’une voiture brinquebalante, payer les charges du logis, avoir le téléphone, rembourser avec intérêts les arriérés des contributions, gâter de temps à autres ses nombreux petits enfants, leur donner une « petite image » , faire face aux prêts contractés pour payer certaines dettes résultantes d’une mauvaise gestion ! Elle a quand même la sagesse de n’être pas raccordée à la télédistribution.

Madame la propriétaire dira : incroyable de laisser les vieux gérer seuls dans le gaspi leurs avoirs ! Et quels avoirs de l’être qui a … qui a … si bon dans la vie ?! Serfs et vassaux, dîmes, progrès, justice sociale, pénalisation, féodal, deniers de l’Etat, assistanat, contrôle, sanction ….

Petit, petit, petit. Mais grande est et reste Lucie. Elle vit. Combien de temps encore?

Jean-Louis Gillessen

Publié dans Textes

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Edmée De Xhavée Il y a 1 mois


Oh... j'ai lu d'une traite.. le genre d'histoire qu'on entend sans vraiment s'y arrêter... tant d'histoires qu'on devrait assimiler pour tout comprendre, mais chacun est dans sa vie et ne laisse
les éclats de celles des autres la pénétrer que s'il y a une connexion inattendue...


Merci pour ce beau texte. Mais bien désolant!

Carine-Laure Desguin Il y a 1 mois


Je lis le texte et une copine me téléphone à l'instant pour me raconter une désolation du genre. Carine, tu n'veux pas regarder sur www.clubimmobilier.com car je voudrais déménager, j'en ai marre
de mes proprios...L'histoire de Jean-Louis Gilissen est bien écrite et rythmée par une musique de Godman, musique qui me rappelle de bons souvenirs. Bon dimanche à tous!

Pâques Il y a 1 mois


Cette pauvre Lucie me rapelle une autre dame, c'est une génération qui ne se plaint pas, ils ont connus la guerre, les privations ...


Moi elle s'appelait Aline et un rien la rendait heureuse.


Un beau texte très émouvant.

Jean-Louis Gillessen Il y a 1 mois


Merci pour vos beaux commentaires : ils attestent en outre que ce type de situation est loin d'être isolée. Même si nous le savons tous, il est sain de le répéter.

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